Dans le cadre de sa minisérie
Péchés mignons des auteurs de fiction
Le Dr Scribe présente
Lauteur Bonne maman
Saison 1, Épi 2
Déjà paru : Le Fin renard… et ses malins plaisirs
- Texte et dessins
- Dominique Alexis
- Rédactrice en chef
- Micheline Choquet
- Premier lecteur
- Jean-Pierre Joyal
- Webmestre
- Louis Desaulniers
Lauteur Bonne maman
… avec laimable participation de Bellet, Chaplin, Karenine,
Lavandier, Lepage, Perros, Simenon, Snyder et Tchekhov.
Jamais sans ma fille
Surprotéger son personnage, aplanir les obstacles qui se présentent sur son chemin, neutraliser ses opposants, multiplier ses adjuvants,
lui faciliter la tâche de toutes les façons possibles, voilà les stratégies de lauteur Bonne maman.
Tous les auteurs que jai rencontrés étaient tous, en certains aspects et à divers degrés, des auteurs Bonne maman.
Je sais, trésor. Nous voulons tous être lexception.
Cest la règle!
Nombre dauteurs ne se voient pas porter secours. Ne voient pas quils ont le bras long.
Bonne maman ne peut sempêcher de venir à la rescousse de son personnage chéri.
Sitôt en danger, ce dernier se trouve miraculeusement sauvé par un pompier, un ambulancier ou un simple quidam qui sadonnait à passer.
Le hasard fait toujours bien les choses avec une Bonne maman.
Le hasard est lun des noms de lauteur dans une œuvre de fiction.
Yves Lavandier
Pour efficace quelle soit, la manœuvre est peu subtile. Cest pourquoi certaines Bonnes mamans préfèrent intégrer au début du récit le sauveur du héros,
histoire de lavoir sous la main aux moments opportuns sans que personne ny trouve à redire.
Souvent mentor ou avocat, cet aidant naturel ira parfois jusquà endosser la quête du héros comme si cétait la sienne.
Mais plusieurs Bonnes mamans nont jamais eu besoin de dépêcher quiconque pour aider le héros à gagner ou lempêcher de perdre.
Passées maîtresses dans lart de ne pas faire advenir les choses, elles voient, plus simplement, à ce que rien narrive.
Un problème survient? La solution suit. Des perspectives de conflits apparaissent? Elles disparaissent dans la foulée. Le lecteur/spectateur (L/S)
a à peine le temps de se poser la question « Que va-t-il se passer ? », que la question ne se pose plus. Sitôt la table mise, elle est débarrassée.
Une confrontation sannonçait-elle depuis le début?
Une entourloupette de lauteur permet de ne pas la faire advenir. Le héros se rend-il à un duel? Sa carriole sempêtre dans la boue tant il a plu laprès-midi.
Devant le danger, le héros recule-t-il? Non, cest le danger qui recule! Quimporte la raison et la façon,
lévénement redouté ne se produira pas.
Ce nest pas avec ce qui se passe que Bonne maman espère nous émouvoir, mais avec ce qui aurait pu se passer. Nuance.
Plus de peur que de mal, telle est sa devise.
Tchekhov avec Quinine
Mon chien joue à perdre sa balle dans la neige.
Il simule la panique de lavoir perdue, puis la joie de lavoir retrouvée.
Ainsi font pas mal dauteurs.
Tchekhov
(citation apocryphe)
La plupart des gens cherchent à éviter les ennuis, les conflits et les confrontations et ainsi font la plupart des auteurs avec leurs personnages.
Cette propension est aussi naturelle, à vrai dire, que celle dimaginer un héros à son image.
Alter ego
Les vertus consolatrices de lécriture sont innombrables et plus dun auteur sest plu
à prendre une revanche sur son passé en réécrivant sa propre histoire, cette fois dans le bon sens, grâce à un personnage dalter ego.
Bonne maman écrit pour cesser de souffrir et cest pourquoi elle consolera son héroïne à chaque étape de son parcours.
Nous avons tous tendance à savoir quel niveau dhumanité
nos héros auront atteint à la fin, mais nous ne voulons pas les confronter
aux tourments de cette évolution.
On leur évite de souffrir.
Blake Snyder
Cest une histoire de résilience, comme on dit maintenant.
Le problème avec ce type dhistoires est quelles sont souvent résilientes de bout en bout.
La résilience nest pas au terme du processus, elle est le processus.
… nous aimons notre héros et nous désirons tellement le voir dans une situation
positive et admirable à la fin du récit que nous navions pas envie quil doive lutter
pour atteindre cela.
Nous navions pas compris que toute lhistoire résidait dans le
fait dy arriver…
Blake Snyder
Chaque épreuve est suivie dune réparation conséquente. Chaque douleur trouve sa consolation; chaque brûlure son onguent.
Aucune plaie ne sinfecte avec une Bonne maman. Aucune situation ne senvenime.
Rien ne dégénère jusquau point de rupture. Tout nest jamais perdu pour le héros.
Personnages, nayez crainte, avec une Bonne maman, il ne peut rien vous arriver.
Cest bien ça le problème.
Et le personnage, alors?
Alors même que le protagoniste est censément le personnage qui vit le plus de conflits et qui affronte le plus dobstacles,
Bonne maman lui facilite la vie.
Cest du tout cuit pour le héros. Sa cause est entendue davance.
Comment ne le serait-elle pas? Bien souvent, cest la sienne!
Bonne maman ne voit pas les répercussions de son maternage.
Si rien ni personne ne soppose au protagoniste et si lui-même ne soppose à rien,
sil ne prend aucun de risque et est toujours sauvé, que fait-il?
Il fait dur.
Junior
Un auteur trop à la rescousse de son protagoniste laffaiblit à coup sûr.
Privé dinitiatives, de choix difficiles, de risques éventuels, de dilemmes potentiels,
comment un personnage pourrait-il aller jusquau bout de lui-même?
Un personnage de roman, c'est n'importe qui dans la rue,
mais qui va jusqu'au bout de lui-même.
Georges Simenon
Que serait Anna Karenine si Tolstoï ne lavait pas laissée mourir?
On peine à imaginer son dépit.
Non vraiment, Anna Karenine na quune chose à dire aux Bonnes mamans du monde entier:
Mauviettes!
Et le public, alors?
Bonne maman mesure lanxiété de son L/S à laune de son petit cœur en chocolat,
oubliant à quel point « Le public aime souffrir par procuration » - Charlie Chaplin.
Quand on est un auteur, on ne fait pas que voir souffrir nos personnages et éprouver leurs souffrances; on les provoque aussi.
On génère des catastrophes, des embûches et des pièges, des trahisons et des affronts.
On les frustre à dessein. On les met au défi, on leur rend la vie impossible, on les jette dans les câbles,
on les pousse dans leurs derniers retranchements. De fait, on les torture, chose inconcevable pour une Bonne maman.
Un des défauts récurrents chez les auteurs, cest dêtre trop gentils,
et moins pervers que certains de leurs personnages…
La la la la la la la la!
… Une autre chose que je recommande souvent,
cest dêtre plus cruel avec ses personnages
et de les maltraiter davantage…
Violaine Bellet
Tout auteur dramatique digne de ce nom
nous met sous le nez lhorreur et la grâce dexister.
George Perros
Moralité